"Je serai aviateur"
Nous sommes en « campagne fusée » depuis 4 jours.
C’est mon deuxième vol de la journée. Les Mirages IIIE sont équipés de la fusée
d’appoint SEPR 844 qui délivre 1t5 de poussée supplémentaire pendant 80 sec. Elle
est utilisée pour permettre des interceptions à très haute altitude (˃ 65000ft)
et en haut supersonique (Mach 1,6 à 2,1).
Je suis habillé d’une combinaison spatiale et d’un casque stratosphérique.
Cet équipement est
nécessaire en cas de dépressurisation du cockpit ou
d’éjection à très haute altitude.
Au cours de ce vol d’entraînement, je dois intercepter un
MIIE de la 2ème escadre (Dijon), il sera à 60000ft/Mach 1,8. C’est Riesling
qui coordonne le décollage des 2 avions et assure le guidage radar pour une
interception en « face à face ». Je serai en montée à Mach 1,6, 40° à
la boule, environ 30000ft/mn au vario !
J’ai juste un peu plus de 2000L de carburant car le MIIIE est
en configuration lisse, sans bidons supplémentaires sous les ailes. Le vol ne
durera pas plus de 30mn.
Aidé par le « pistard » je m’installe dans le
cockpit et me brêle sur le siège. Le décollage est prévu dans 15mn. C’est alors
que, par l’intermédiaire des OPS, Riesling me fait savoir que le plastron est
en panne et ne décollera donc pas de Dijon. Les OPS ajoutent : « tu
décolles quand même, tu as liberté de manœuvre dans la zone de Riesling ».
OUHAAA ! Merci les OPS !
Le mécano me montre les 5 sécurités du siège éjectable, je
ferme la verrière, mets en route et 2mn plus tard m’aligne sur la piste et
lâche les freins et la purée !
Plein pot, PC mini, vérifications des voyants, du pendulage
du tachy, de la T4 puis PC max ! C’est parti !
Depuis que je suis pilote de chasse, ma vie est une
succession de jouissances extrêmes mais, ce jour-là, je vais vivre un moment
qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. J’ai décidé de refaire le coup de
Chuck Yeager dans l’Etoffe des héros.
Cap 300 sur les Vosges j’accélère à 450kts, passe au ras du
Grand Ballon encore enneigé. Le nez dans le ciel j’effectue 2 ou 3 tonneaux
pour exprimer toute ma joie d’être là, au milieu du ciel qui est clair, sans
aucuns nuages. Déjà, la Terre s’éloigne, à moi l’immensité de l’espace.
En moins de 3mn, j’atteins la tropopause qui est
aujourd’hui à 36000ft. Toujours plein pot
PC, je franchis le Mach sans aucunes
contraintes. A Mach 1,4, la survitesse s’enclenche. J’affiche alors 40° à la
boule et allume la fusée qui se met à crépiter. Boum ! C’est parti. Mach
1,6, 1,8.
L’altimètre s’affole. Difficile de suivre les aiguilles qui
tournent comme les ailes d’un moulin à vent un jour de mistral. D’ailleurs, je
ne regarde plus l’intérieur du cockpit, juste un œil sur le chrono pour savoir
où en est la fusée.
40000ft, 50000ft, 60000ft, je monte de 10000ft toutes les 20
secondes. Je coupe la PC pour économiser le pétrole et éviter de trop
surcharger l’ATAR9C. 65000ft, la combinaison spatiale commence à se gonfler. Le
MIIIE continue de monter. Assis sur la fusée, je voudrais que ça ne s’arrête
jamais.
À 70.000ft, le ciel devient bleu
foncé et il me semble apercevoir quelques étoiles alors qu’on est en plein
jour. Je vois passer 72000ft.
Ensuite mes souvenirs sont diffus. Je me souviens que tout à
coup le silence m’a envahi. La fusée s’est arrêtée. Ai-je dépassé 75000ft, la
limite d’utilisation du MIIIE en configuration lisse ? J’ai laissé
retomber le nez du Mirage, la Terre est apparue, au loin l’horizon était noyé
dans une brume blanchâtre. Est-ce la rotondité de notre planète que j’ai
aperçue ? Oui, sans doute, je veux le croire.
Quand j’étais gamin, je devais avoir 7 ou 8 ans, il y avait
dans mon école la distribution des prix à la fin de l’année scolaire. Les
parents étaient présents, les enfants réunis sur l’estrade. J’ai été appelé
pour recevoir un prix dont je ne me souviens plus de la nature. Lorsque le
maître ou la maîtresse m’a demandé « que feras-tu plus tard ? »
j’avais fièrement répondu, dressé sur la pointe des pieds : « je
serai aviateur ! ». J’ai effectué mon premier vol solo sur Piper J3 le jour
de mes 16 ans. Dans ma prochaine vie je serai cosmonaute.
Je mets le cap sur la base que je
situe sans problème au loin derrière le relief des Vosges. Je rentre sur la
pointe des pieds car je n’ai plus beaucoup de pétrole. A 50000ft je réduis le
réacteur et finis la descente à 350kts. Arrivée direct en vent arrière car il
fait un temps de curée, atterrissage, retour sur le plancher des vaches. Durée
du vol 25mn.
Au parking, je reste un long moment
dans le Mirage, ayant du mal à quitter cet avion que j’ai mené « dans les
jardins suspendus de l’azur » à des altitudes que « ni l’alouette ni
même l’aigle n’ont jamais survolées ». J’y suis encore…
Henri Marnet-Cornus
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